Amis ou followers ?
J’ai visité la contrée des followers. C’était une terre inexplorée pour moi. Aujourd’hui encore, j’en connais peu tous les us et coutumes. J’apprivoisais depuis quelques mois cette sphère très particulière des réseaux sociaux. J’avançais à mon rythme sur ses sentiers, ses paysages et surtout je rencontrais des gens.
Je voyais le nombre d’abonnés grandir, j’en étais heureuse. À vrai dire, c’est bien légitime. Quand dans ma solitude, une personne se joint à mon petit univers virtuel, n’est-ce pas une bonne nouvelle ? Le virtuel serait-il seulement l’apanage de la médiocrité ? Je me disais que non, que derrière chaque clic, il y avait une vraie personne. De chair et d’os. Une personnalité entière, avec ses qualités et ses défauts, tout comme moi. Un cœur, un esprit, une âme.
Ce soir je me suis rendu compte que dans ce pays-là, deux personnes, celles qui prétendaient être mes amis, tout d’un coup, avaient quitté ma page. Comme ça, sans un mot, sans explication, sans raison apparente à mes yeux. Elles sont parties comme elles étaient venues : En un seul clic.
Oh, heureusement, un certain nombre sont restés bien sûr mais que dois-je comprendre ? Pourquoi ? Qu’ai-je fait de mal ? Où est mon crime ou mon insuffisance ? Où est la faute ou la maladresse ? Pas moyen de le savoir. Je n’ai plus accès à rien de ce qui les concerne.
Vous allez me dire : « Pas grave, c’est ça les réseaux sociaux ! ». Je suis frappée de tristesse, un grand coup s’est abattu sur moi. En un seul clic, plus rapide encore qu’une volée de moineaux, en un seul clic, l’ami en question te quitte. C’est violent, brutal, si soudain !
Est-ce donc cela l’amitié virtuelle ? Tout est faux alors ? Il faudrait savoir : Sont-ce des personnes authentiques qui se cachent derrière un pseudo, ou bien juste un cœur à l’algorithme sectaire ?
J’avais donc un lien avec des sans-cœur ? Des hypocrites redoutables ? Des faussaires ?
En fait, force est de constater que je leur étais complètement indifférente ! Mon Dieu, quelle duperie ! Quelle cruauté !
En une fraction de clic immédiat, par la touche d’une souris dévoreuse d’âmes, j’ai été jetée à la poubelle, dans une corbeille j’ai rejoint en un vol plané la multitude de tous les kleenex, des stylos usés, des emballages inutiles. Me voilà mis au rebut de ceux qu’on ne veut plus.
On me répond : « Tu t’en fous ! C’est qu’un abonné ! Rien de plus ! Que connais-tu de la vie de tous ces gens cachés derrière l’écran ? Cela n’a aucune importance ! ».
Mon Dieu, mon horizon se resserre avec le même élan qu’une porte claquée. Alors, j’avais tout faux : Ces gens ne sont pas des personnes. Sans s’en rendre compte, ils sont devenus des machines consuméristes, relativistes et sans humanité.
Cela me rappelle l’autre soir, il y avait un reportage télévisé sur un massacre d’êtres humains. Certains, juste après cette diffusion, sont passés ensuite à une autre émission. Puis à une autre distraction et encore à une autre occupation. Comme si tout n’était pas réel. Comme si ce massacre n’avait pas eu lieu. Comme si on pouvait ainsi passer d’une réalité à une autre, sans aucun état d’âme. Comme si regarder quelqu'un tuer une autre personne puis aller boire son coca gentiment avec la paille qui va bien, comme si tout cela était logique, cohérent.
J’ai envie de vomir. Cette planète me rend malade. Que ce soit en présentiel ou à distance, pour moi, un être humain, ce n’est pas cela. Mais pas du tout. J’ai autant de chagrin que si je connaissais bien ces personnes. Quelle que soit la nature de cette relation, c’était une relation d’un humain à un autre.
Non, je me trompais bien sûr.
Ce n’était qu’un follower. Un de plus. Un de moins. Un follower programmé par le tri sélectif des individus reliés par claviers. Ma vie ne tenait pas qu’à un fil, mais à un clic.
Je ne suis pas sûre de rester sur cette terre ingrate. Cela me rappelle le roman de Nathan Devers : « Les liens artificiels ». Oui, c’est bien cela finalement ces relations. Un seul clic, plus rapide qu’un courant d’air, me révèle cette vérité atroce :
Ce ne sont que des liens artificiels.
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